Sebastian Schutze
Vers 1900, un petit groupe formé d’influents mécènes, critiques, écrivains et artistes fait de Weimar, capitale du grand-duché de Saxe-Weimar-Eisenach, aujourd’hui en Allemagne, un centre utopiste de l’art et de la pensée modernes. Des artistes tels que Max Klinger, Edvard Munch et Ludwig von Hofmann et des écrivains comme André Gide, Hugo von Hofmannsthal et Rainer Maria Rilke cherchent à créer un « Nouveau Weimar » et désignent à la tête de ce mouvement Friedrich Nietzsche, prophète radical de la modernité. Sa pensée pénétrante, son langage expressif et son style aphoristique saisissant font en effet de lui le parfait philosophe du modernisme. « L’existence et l’univers ne sont éternellement justifiés qu’en tant que phénomène esthétique. » Avec des maximes philosophiques comme celle-ci, tirée de La Naissance de la tragédie, Nietzsche va devenir une référence majeure pour les artistes et les critiques en quête d’un « nouvel art », d’un « nouvel homme » et, finalement, d’une « nouvelle société ».
En 1902, on demande à Max Klinger de réaliser le portrait sculpté du philosophe mort deux ans plus tôt, pour la villa Silberblick à Weimar, où le culte de Nietzsche s’est constitué. À partir d’un masque mortuaire largement remanié, Klinger exécute le célèbre hermès en marbre qui orne encore de nos jours la salle d’accueil des Archives Nietzsche. Seules trois versions monumentales en bronze ont été coulées, l’une d’entre elles faisant maintenant partie de la collection du musée des Beaux-Arts du Canada.
Friedrich Nietzsche et les artistes du nouveau Weimar, dont cette sculpture constitue le point focal, accompagnée d’une série de tableaux, de dessins, de moulages en plâtre et de petits bronzes, se propose de montrer comment Klinger et ses mécènes ont inventé le Nietzsche « officiel », transformant un portrait hautement expressionniste en une image culte, classique et idéalisée. L’exposition comprendra aussi un ensemble d’éditions anciennes des livres les plus influents de Nietzsche, notamment des éditions de luxe des ouvrages Ainsi parlait Zarathoustra, Ecce Homo et Dithyrambes de Dionysos produites par Henry van de Velde. Enfin, elle réunira des œuvres d’autres protagonistes du « Nouveau Weimar », dont Auguste Rodin, Aristide Maillol, Edvard Munch et Kurt Stoeving, de manière à offrir, pour la première fois en Amérique du Nord, un éclairage sur cette extraordinaire constellation artistique et culturelle du modernisme.
Sebastian Schütze, Ph. D., a longtemps été chercheur à la Bibliotheca Hertziana (Institut Max-Planck d’histoire de l’art) à Rome. Il est membre de l’Académie autrichienne des sciences, du conseil scientifique de l’Istituto Italiano per gli Studi Filosofici de Naples et de l’Institut européen d’histoire de la République des lettres à Paris. De 2003 à 2009, il a été titulaire de la chaire Bader en art baroque du sud à l’université Queen’s de Kingston. Il occupe actuellement le poste de professeur d’histoire de l’art moderne à l’université de Vienne.